Nous publions ici le texte de J.M. Croisille avec les citations
des auteurs grecs qui figurent dans son manuscrit original. Compte
tenu des limites des traitements de textes actuels, les accents
des mots grecs anciens ne sont pas retranscrits. Le lecteur voudra
bien nous en excuser. Par ailleurs il se peut que le navigateur
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grecs. Nous mettrons bientôt pour cette raison en ligne
une version ne comprenant que les citations latines.
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Jean-Michel Croisille
29 avril 1981
LA TACTIQUE DE CESAR DEVANT GERGOVIE
:
Essai de reconstitution d'après les textes anciens
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"Il faudrait d'abord des latinistes.
" |
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"Ce qu'il convient de louer chez
les érudits, c'est moins leur ingéniosité
à proposer des solutions que leur honnêteté.
On aimerait qu'ils abordent les questions avec la plus entière
disponibilité d'esprit, et, si possible quelque bonne
humeur. " |
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H.P., C.P., p. 176-177 |
Madame G. Demerson ayant magistralement planté le décor
(1), il me reste la lourde tâche
de tenter d'y faire évoluer Romains et Gaulois, en tenant
compte exclusivement des données textuelles. Je ne reviendrai
pas sur les raisons qui nous ont incités l'un et l'autre
à agir ainsi et qui ont été exposées
par Mme Demerson de la façon la plus claire. L'attitude
la plus sage et la plus modeste consiste, comme le font aujourd'hui
les philologues, à respecter le texte ancien, sans le
transformer par des transpositions ou des conjectures, sauf impossibilité
réelle de compréhension. C'est dans cet esprit
que je voudrais exploiter les trois textes de César, de
Dion Cassius et de Polyen, sans en forcer le sens, mais en restant
aussi près que possible de celui-ci.
Nous distinguerons cinq étapes dans le déroulement
des opérations.
1. REPRISE DE CONTACT ENTRE LES ROMAINS ET LES GAULOIS ; ESCARMOUCHES
César parvient en vue de l'oppidum, sans songer à
un assaut (César : de oppugnatione desperauit)
ni à un siège immédiat (César : de
obsessione non prius agendum constituit quam rem frumentariam
expedisset), établit son camp en plaine (Dion Cassius
: en te gar pedio o kaisar euliseto),
en un lieu qui ne le mettait pas à l'abri des surprises
(Dion Cassius : on gar euporesen exurou cwriou).
Vercingétorix a établi son camp près de
l'oppidum in monte et dispose autour de lui les campements des
autres cités ; les collines proches du mons sont occupées
par les Gaulois : elles forment un iugum. Vercingétorix
tient chaque jour des conseils d'EM, à l'aube. Les Gaulois
ont vue sur (Dion Cassius : to te sratopedon
autou kateq ewnto) et sont en vue de César (César
: qua dispici poterat horribilem speciem praebebat). Tant
César que Dion signalent des harcèlements, dont
l'initiative revient aux Gaulois, qui viennent avec leur cavalerie
et des archers sonder la combativité des Romains et s'aguerrir
(César : equestrique proelio eo die (le premier
jour) facto ; neque ullum fere diem intermittebat Vercingétorix
quin equestri proelio interiectis sagittariis quid in quoque
esset animi ac uirtutis suorum periclitaretur ; Dion : epikataqeousi pleonektein ta pleiw ... taiV katadromaiV
epikairoiV ecrwnto). Cependant les Romains repoussent
sans mal ces harcèlements (Dion : ei
te ph peraiterw tou kairou procwrhsantes anekoptonto...
). Il n'est pas question d'autre part de riposter avec des armes
de jet, vu l'éloignement (Dion : oi
gar Rwmaioi oudena tropon, ef oson oi te liqoi kai ta akontia
exikneito, pelasai toiV cwrioiV edunanto ).
Les escarmouches, essentiellement le fait de cavaliers, ont donc
lieu assez près des hauteurs, sans qu'il soit précisé
d'emplacement déterminé ; il s'agit d'opérations
ponctuelles, menées par des éléments très
mobiles, profitant de l'avantage que leur donne leur position
élevée pour saisir la meilleure occasion, sans
trop s'aventurer près du camp romain (cf. supra, Dion
: ei te ph peraiterw... ).
II- ATTAQUES CONTRE L'OPPIDUM ET PRISE D'UN ELEMENT DU DISPOSITIF
GAULOIS
Cette guerre de positions ne donne l'avantage à personne
(Dion : epeidh o te cronoV allwV analounto
). Seul Dion indique des attaques infructueuses contre la hauteur
principale (Dion : kai pollakiV kai proV
auto to orqion, ef ou to polisma hn, prosbalwn), puis
les témoignages de César et de Dion concordent
pour parier de la prise d'une colline occupée par une
garnison gauloise assez faible (César : praesidio ab
his non nimis firmo, Mss Seel : non infirmo,
corr.) particulièrement bien située pour gêner
l'ennemi gaulois (César : et aquae magna parte et pabulatione
libera prohibituri hostes uidebantur) et même pour
fournir une base d'attaque contre le reste du dispositif gaulois,
après aménagement convenable (Dion : merouV
men tinoV ekrathsen autou wste kai enteicisasqtai ti raw te ekeiqen
thn epi talla efodon poieisqai ). La place de cette colline
par rapport au camp de César et à la hauteur principale
a été précisée par Mme Demerson,
et il ne paraît pas y avoir aujourd'hui de doute à
ce sujet : le camp, la colline en question et l'oppidum sont
sur une même ligne pour un observateur placé sur
le site du camp. Cette question réglée, reste le
problème temporel : faut-il, avec certains commentateurs,
considérer que la prise de la colline n'aurait eu lieu
qu'après l'épisode du soulèvement des Héduens
? César, comme on sait, parle de cette prise comme d'une
opération-surprise dès le chapitre XXXVI (le premier
de ceux qui sont consacrés à Gergovie), et aussitôt
après avoir mentionné les manuvres de harcèlement
de Vercingétorix. Certes il a dit peu auparavant qu'il
n'entreprendrait de siège qu'après avoir pourvu
à l'intendance. Mais, d'une part il n'est pas précisé
combien de temps dure la période d'expectative pendant
laquelle César aurait le temps de se ravitailler grâce
aux Héduens, mais sans doute pas uniquement (nous
sommes fin avril - début mai ou juin ?), riposte aux incursions
gauloises et mène peut-être (selon Dion) quelques
attaques infructueuses contre la place principale des Gaulois
(2) ; d'autre part César peut
avoir mis à profit une occasion d'améliorer sa
position, sans avoir prévu l'éventualité
offerte. On a pensé que la mention de tentatives infructueuses
faite par Dion constituait une mauvaise interprétation
de César mentionnant lui-même des engagements de
cavalerie : Ce n'est pas absolument nécessaire et la source
de Dion peut être différente.
Je garde donc la chronologie de César : la colline escarpée
a été prise avant l'annonce à César
de la défection des Héduens. César fortifie
cette position en dur (Dion : enteicisasqai),
y installe deux légions (César : duas ibi logiones
conlocauit) dont sans doute la VIII e (cf. infra).
Seul César parle du double fossé, dont chaque partie
a douze pieds de large et qui relie son camp de plaine à
ce qu'il appelle désormais petit camp (César :
fossamque duplicem duodenum (ne pas écrire : XII
!) pedum a maioribus castris ad minora perduxit). Ce double
fossé dont la largeur totale doit avoir été
de bien plus de 24 pieds, si l'on tient compte du terre-plein
de séparation entre les deux parties, outre les rejets
de terre de part et d'autre (= 30 pieds au moins = 10 m environ),
doit constituer, selon César, une protection, efficace
même pour des individus isolés, contre les harcèlements
ennemis (César : ut tuto ab repentino hostium incursu
etiam singuli commeare possent). On a discuté et on
discute toujours sur la façon d'utiliser ce double fossé
: cela dépend en particulier de la forme qui lui est donnée et qui peut être triangulaire,
trapézoïdale ou rectangulaire. Une forme triangulaire
exclut l'utilisation comme boyau de circulation, les autres la
permettent (3) , et on peut même,
dans ce dernier cas, penser à un "sens unique",
avec "voie montante et voie descendante".
III. ATTAQUE DU GRAND CAMP PARLES GAULOIS PENDANT L'ABSENCE DE
CESAR.
Après le chap. XXXVI, où César relate les
événements précédents, avec confirmation
partielle de Dion Cassius, les chap. XXXVII à XXXIX sont
consacrés au soulèvement héduen. Le par.
XL expose la réaction de César à la relation
d'Eporédorix. Celui-ci fait sortir quatre légions
du camp principal ainsi que toute la cavalerie composée
justement d'Héduens (au moins en partie) (César
: legiones expeditas quattuor equitatumque omnem ex castris
educit) : les bagages sont laissés sur place (expeditas)
et l'on n'a pas le temps de resserrer le camp (César :
nec fuit spatium tali tempore ad contrahenda castra).
Deux légions sont laissées à Fabius, légat,
préposé à la garde du camp (César
: C. Fabium legatum cum legionibus duabus castris praesidio
relinquit (8 000 hommes ?).) Les effectifs énumérés
ici par César correspondent évidemment à
l'infanterie légionnaire ; il faut leur adjoindre les
alarii qui sont des "cohortes d'alliés portant
l'armement lourd" et dont l'effectif en l'occurrence
peut avoir été de 12 cohortes (5 000 hommes ?),
ce qui, avec les deux légions, aurait été
suffisant pour la défense des deux camps. Au surplus,
les spécialistes remarquent qu'avec "deux légions,
Fabius pouvait défendre deux camps", sans que
le recours aux alarii soit indispensable. Il est au surplus
tout à fait vraisemblable de penser que le petit camp,
possédant une situation bien plus forte que le grand,
était moins exposé aux attaques gauloises, restant
pourvu d'une garnison, sans doute quelques cohortes (cf. XLIX,
1 ; LI, 2).
Les Gaulois, effectivement, attaquent le grand camp en force,
selon le récit que les messagers envoyés par Fabius
font à César, qui revenait déjà,
ayant parcouru 25 milles à l'aller et la moitié
du chemin du retour (soit environ 17 milles) (César :
progressus milia passuum XXV agmen Haeduorum conspicatur
(XL, 4) ; castra ad Gergouiam mouit ; medio fere itinere equites
a Fabio missi ... (X LI, 2)).
L'assaut mené contre le grand camp semble avoir duré
une journée : César part sans doute à la
fin d'une nuit (ou dans sa deuxième moitié), après
avoir été prévenu par Eporédorix
de la défection héduenne vers le milieu de la nuit
(César : media fere nocte) il est de retour à la
fin de la nuit suivante (César : ante ortum solis in
castra peruenit). Entre-temps le grand camp a été
attaqué par des troupes gauloises nombreuses et toujours
fraîches (César : summis copiis castra oppugnata
demonstrant cum crebro integri defessis succederent), tandis
que la garnison romaine devait occuper tout le pourtour du retranchement,
sans relève possible (César : nostrosque adsiduo
labore defatigarent, quibus propter magnitudinem castrorum perpetuo
esset isdem in uallo permanendum). En effet le camp, n'ayant
pas été resserré, devait mesurer au maximum,
selon les évaluations d'Hyginus, environ 750 m de long
sur 450 m de large, ce qui donne un périmètre de
près de 2,5 km. Il est vrai que les Romains, pour se défendre
contre les armes de jet gauloises, assez efficaces (César
: multitudine sagittarum atque omnis generis telorum multos
uulneratos), possèdent des machines (César
: ad haec sustinenda magno usui fuisse tormenta). Ce n'est
qu'à la nuit, après les assauts meurtriers, mais
infructueux des Gaulois, que Fabius peut procéder à
des aménagements défensifs en prévision
d'une attaque le lendemain, attaque qui n'aura pas lieu, César
étant revenu dans l'intervalle. Quels sont ces aménagements
? Fabius prend soin de laisser deux portes accessibles (César
: duabus relictis portis), il fait obstruer les autres
(César : obstruere ceteras) et rajouter des mantelets
à la palissade (César : pluteosque uallo addere).
Il semble bien que l'expression obstruere portas implique
l'absence de portes de bois dont on pourrait fermer les battants
: la comparaison avec V, 51, 4 (cf. aussi VI 11, 9, 4 : fores)
où César dit : obstructis in speciem portis
singulis ordinibus caespitum , accrédite cette idée
; l'on sait d'autre part que l'emploi des clauiculae,
que l'on croyait encore récemment postérieures
à la première moitié du ler siècle
de notre ère, existait très probablement à
l'époque de César, et ce genre de protection en
arc de cercle, soit à l'intérieur, soit à
l'extérieur des ouvertures d'un camp, soit à la
fois à l'intérieur et à l'extérieur,
ne nécessite pas l'utilisation de portes pleines, dont
il n'est d'ailleurs aucunement question (cf. VI 11, 9, 4). Les
mantelets (plutei) sont des sortes de panneaux de blindage
en clayonnage que l'on rajoute après coup à la
palissade pour protéger les défenseurs plus efficacement
contre les armes de jet. Les deux portes laissées libres
d'accès sont certainement situées sur deux côtés
contigus du camp, probablement la porte décumane opposée
à l'ennemi et une porte principale (soit la porte prétorienne
et une porte principale), pour faciliter le retour de César
au camp.
Dion Cassius évoque cet épisode d'une manière
très générale (Dion : kai
proseti kai proV toutouV apelqontoV autou kakwV oi kataleifqenteV
aphllaxan ), en mentionnant la difficulté
qu'avaient eue les soldats préposés à la
garde du camp pour se défendre pendant l'absence de César.
Ses propos paraissent, en tout cas, appuyer la chronologie de
César, puisqu'il parle bien auparavant de la prise du
petit camp, et cela comme d'une tentative d'investissement de
la place de Gergovie à un moment où le soulèvement
héduen n'existait pas encore.
IV. L'ATTAQUE DE GERGOVIE.
Il est nécessaire de distinguer ici plusieurs phases :
1. L'OCCASION - chap. XLIV.
César, de retour devant Gergovie, est préoccupé
par la situation générale qu'il sait instable (fin
du chap. XLIII) : il n'y a aucune raison de mettre en doute l'intention
exprimée par César d'abandonner le siège
sans avoir l'air de perdre la face, cela pour prévenir
un danger dû à un éventuel soulèvement
général de la Gaule ; de plus César est
privé d'une bonne partie de son ravitaillement, en raison
de la défection héduenne et de ses conséquences.
Mais il ne prend aucune décision prématurée,
autant afin de ne pas décourager ses propres troupes que
pour ne pas encourager l'adversaire. Il fait donc preuve de réalisme.
Il va aussi faire preuve d'opportunisme (César : Haec
cogitanti accidere uisa est facultas bene gerendae rei) :
un succès est possible. Comment ? La fortification du
petit camp s'est poursuivie et César vient, quelque temps
après son retour de l'expédition contre les Héduens,
inspecter l'ouvrage (César : cum in minora castra operis
perspiciendi causa uenisset). Notons au passage que l'on
peut lire aussi : prospiciendi (b),
ce qui indiquerait que César s'occupe personnellement
des travaux ou a le projet d'utiliser cet ouvrage. Il remarque
alors qu'une colline jusque-là visiblement occupée
par de nombreuses forces ennemies paraît désertée
(César : animaduertit collem, qui ab hostibus tenebatur,
nudatum hominibus, qui superioribus diebus uix prae multitudine
cerni poterat). Cette colline, comme il le dit, est dans
le dispositif ennemi. La constatation de son évacuation
n'est pas immédiate, car César a pu, lors d'autres
inspections précédentes au petit camp, la voir
occupée. Mme Demerson a analysé la nature de cette
colline, privilégiée, par rapport au reste du iugum
auquel elle appartient, à l'instar de celle sur laquelle
est établi le petit camp. Le revers dudit iugum offre
un accès possible à l'oppidum en raison de sa topographie
: Il est en pente douce, mais boisé et étroit (César
: dorsum esse eius iugi prope aequum, sed hunc siluestrem
(siluestre (b)) et angustum,
qua esset aditus ad alteram partem oppidi). Cet accès
se trouve à l'opposé de l'endroit où se
situe l'observateur (César : alteram partem oppidi).
César n'a pu être documenté à son
propos que par les renseignements de ses éclaireurs (César
: quod iam ipse Caesar per exploratores cognouerat), renseignement
confirmé par des transfuges (César : quaerit
ex perfugis causam) qui exposent la cause du déplacement
des forces gauloises constaté par César : c'est
la crainte éprouvée par les défenseurs de
l'oppidum d'être tournés et attaqués par
ce revers d'accès facile ; l'attaque permettrait aux Romains
de s'emparer de la colline dont la partie visible a été
désertée. Cette colline forme couple avec celle
dont les Romains se sont déjà emparés (César
: si alterum amisissent). Elle donne la possibilité
aux Gaulois de descendre dans la plaine pour fourrager : Si elle
est prise à son tour, le blocus sera total ou presque
(César : uehementer huic illos loco timere nec iam
aliter sentire, uno colle ab Romanis occupato, si alterum amisissent,
quin paene circumuallati atque omni exitu et pabulatione interclusi
uiderentur). Il faut noter que cette phrase présente,
dans la version ci-dessus reproduite des MSS a,
une construction un peu dure : nec ... aliter sentire
est construit avec quin, par analogie, dit-on généralement,
avec non dubitare quin ; il est vrai que l'on trouve chez
César quelques constructions analogues (cf. 1, 4, 4 :
neque abest suspîcio quin), mais il est tentant
de suivre les MSS a, sur lesquels
Mme Demerson a justement attiré mon attention et dont
la lecture est curieusement refusée par les éditeurs,
même les plus récents : on lirait alors, en suivant
b, et avec correction de l'ordre des mots du début du
membre de phrase, plus satisfaisant dans b
: huic loco uehementer illos timere nec iam aliter
sentire, uno colle ab Romanis occupato ici asyndète
; si alterum amisissent, non dubitare (ou -ri ?)
quin paene circumuallati ... Cette dernière lecture
a l'avantage de restituer une construction plus classique, et
sans doute aussi de permettre une explication de la crainte des
Gaulois en donnant à la proposition à l'ablatif
: uno colle ... occupato une nette valeur causale en même
temps que temporelle : Les craintes des Gaulois existaient avant
la prise de la première colline, elles s'étaient
renforcées à cause de la prise de cette colline
; mais si (et c'est la valeur d'opposition de l'asyndète)
la seconde colline privilégiée leur échappait,
ils seraient dans une situation dramatique. On peut penser aussi
que les craintes des Gaulois ont été accrues par
des mouvements de troupes du côté menacé,
César n'en dit rien ; serait-ce le lieu d'évoquer
les tentatives infructueuses mentionnées par Dion Cassius
(cf. II), et qui auraient montré à Vercingétorix
la faiblesse possible de son dispositif ? En tout cas ce dernier
a emmené tout son monde sur le revers du iugum pour édifier
des fortifications (César : ad hunc muni endum locum
(b) omnes a Vercingetorige
euocatos).
2. L'EXPLOITATION PAR CESAR - Chap. XLV. La feinte.
Il s'agit alors pour César d'exploiter cette situation
: par plusieurs mouvements successifs il va confirmer les craintes
gauloises en faisant croire à l'ennemi qu'il tente de
tourner son dispositif et d'attaquer effectivement derrière
la seconde colline :
a) envoi de plusieurs escadrons de cavalerie vers le point concerné
et cela dès le milieu de la nuit (César . mittit
conplures equitum turmas eo (eodem (b))
de media nocte) : ils doivent faire un peu plus de bruit
que d'habitude, cela pour attirer l'attention des Gaulois, sans
toutefois avoir l'air de le faire exprès, et se répandre
dans tout le secteur (César : imperat ut paulo tumultuosius
omnibus locis peruagentur).
b) envoi de muletiers avec leurs mulets débâtés
et déguisés en cavaliers avec mission de contourner
les collines, sans préciser lesquelles, et cela à
l'aube (César : prima luce magnum numerum impedimentorum
ex castris mulorumque produci deque his stramenta detrahi mulionesque
cum cassidibus equitum specie ac simulatione collibus circumuehi
iubet). Ces collines, comme il est dit plus loin (eodem
iugo), forment un iugum, et il est vraisemblable de
penser au même iugum que celui auquel appartient la seconde
colline pour laquelle craint Vercingétorix (cf. supra).
Quelques cavaliers doivent suivre le même chemin, mais
en allant et venant en un mouvement plus large (ou avec plus
de précautions, selon les MSS) cela afin de mieux faire
croire aux Gaulois que tout l'ensemble est constitué de
cavaliers (César : his paucos addit equites qui latius
(cautius (b)) ostentationis
causa uagentur). Les uns et les autres doivent, de toute
façon, faire un long détour pour parvenir au même
point, au-delà des collines, comme il a été
dit plus haut (César : longo circuitu easdem omnes
iubet petere regiones). Tout cela se passe en vue des Gaulois
qui peuvent observer ces mouvements d'en haut et voir sortir
du camp muletiers et cavaliers, sans pouvoir les distinguer les
uns des autres (la distance doit être suffisante pour distinguer
des troupes montées, sans identification possible) (César
: haec procul ex oppido uidebantur, ut erat a Gergouia despectus
in castra, neque tanto spatio certi quid esset explorari poterat).
c) envoi d'une légion du même côté
que les troupes montées (la XIe ?). Cette légion
progresse le long du iugum précité (ou sur
ce iugum) et constitué par les collines et se dissimule,
après une brève progression, en une position basse
et en un lieu boisé (César : legionem unam eodem
iugo mittit et paulum progressam inferiore constituit loco siluisque
occultat).
Les expressions collibus circumuehi et eodem iugo mittit
demandent quelques commentaires. Collibus (Collibus
n'est pas un datif !) et eodem iugo sont des ablatifs
répondant à la question qua, bien sûr,
mais les mouvements indiqués pour les muletiers déguisés
en cavaliers et pour la légion anonyme sont-ils les mêmes
? Faut-il comprendre que les premiers escaladent les collines
ou se déplacent du côté des collines en les
longeant ? Cette dernière solution paraît la bonne.
Quant aux fantassins de la légion envoyée du même
côté, ils suivent la ligne des collines formant
iugum mais leur nature de fantassins suppose moins de mobilité,
tout en permettant une escalade éventuelle des pentes
du iugum. Il semble que muletiers et fantassins suivent un chemin
parallèle empruntant le bord ou les premières pentes
d'une ligne de collines formant iugum et qui aboutit à
la colline privilégiée pour laquelle Vercingétorix
a des craintes, puisqu'elle commande partiellement l'accès
à la plaine et donne accès à l'oppidum.
Ces mouvements successifs dont le dernier se place sans doute
au cours de la matinée (vers 9-10 h) augmentent les soupçons
des Gaulois et les incitent à dégarnir la partie
de leur dispositif visible du petit camp césarien (César
: Augetur Gallis suspicio atque omnes illo ad munitionem copiae
traducuntur) (César : uacua castra hostium Caesar
conspicatus). Ces mouvements de diversion peuvent-ils être
identifiés avec la manuvre imaginée à
droite de son front par César et dont parle Polyen ? C'est
une possibilité ( cf. infra). Il apparaît
bien à César que cette fois les Gaulois dégarnissent
complètement le ou les camp(s) existant sur les pentes
de l'oppidum, outre la partie visible de la colline menacée.
Il reste cependant des guetteurs, et même d'autres troupes
(cf. infra).
3. L'ATTAQUE REELLE.
a) Transfert et consignes :
La clef de la tactique de César pour mener l'attaque se
trouve en XLV, 7, dans une phrase que les MSS des deux familles
rapportent différemment. Il est nécessaire, après
tant d'autres, de reprendre les termes de cette phrase pour essayer
d'en tirer des conclusions : César : Vacua castra hostium
Caesar conspicatus tectis insignibus suorum occultatisque signis
militaribus raros milites ne (b)
qui (a) ex oppido animaduerterentur,
ex maioribus castris in minora traducit legatisque quos singulis
legionibus praefecerat quid fieri uelit ostendit ...
César constate d'abord, comme nous l'avons vu, que sa
feinte a réussi, puisque les camps ennemis qu'il a sous
les yeux sont vides : il faut supposer que César lui-même
se déplace ; il a dû venir plusieurs fois du grand
au petit camp, et la constatation précédente a
vraisemblablement lieu du petit camp : elle est exprimée
dans un énoncé participial où paraît
marquée l'action personnelle de César. Valeur forte
de conspicatus ?
Vient ensuite une proposition à l'ablatif absolu qui marque,
selon la progression logique du texte, une première action
qui est une opération de camouflage : il s'agit de recouvrir
les insignia, qui sont les ornements (particulièrement
de casques et de boucliers) désignant les grades et de
dissimuler les enseignes (signa) qui servent de ralliements
aux corps de troupes. La phrase intercale suorum entre les deux
expressions, ce qui rend plus claire la compréhension
de l'ensemble : suorum, s'oppose à hostium figurant peu
auparavant dans le précédent membre de phrase.
Le terme désigne les Romains # hostes.
Puis deux propositions principales coordonnées ont trait
à l'action proprement dite : mouvement de troupes et consignes.
César transfère d'abord par petits groupes (raros)
des soldats (milites) du grand au petit camp : mais quels
soldats et dans quel but ? Ici se pose le problème du
choix entre ne et qui, selon que l'on penche vers
l'une ou l'autre famille de MSS. Disons
tout de suite que, contrairement à l'opinion ancienne,
les spécialistes du texte de César ne privilégient
aucunement la classe a par rapport à la classe b
(4) . Il n'y a donc aucune raison
tirée de la qualité de telle ou telle classe pour
préférer qui à ne. Mais, selon que l'on
choisit l'un ou l'autre, le sens de la proposition (et de la
manuvre) est opposé - d'un côté on
veut faire remarquer des soldats, de l'autre on veut les dissimuler.
La logique vient alors au secours du latin pour donner des arguments
en faveur de ne : le latin d'abord ; on a prétendu
que suorum et raros milites ne pouvaient désigner
les mêmes troupes ; or il n'y a là aucun empêchement
syntaxique et l'on peut considérer à juste titre
que suorum, quoiqu'étant
dans une proposition à l'ablatif absolu, est repris dans
la principale par milites : les exemples donnés
par César lui-même (5) ,
ne manquent pas pour appuyer cette idée.
Il y aurait donc alors deux précautions pour favoriser
la dissimulation des troupes passant du grand au petit camp :
le camouflage indiqué dans la proposition à l'ablatif
absolu ; la dispersion, raros signifiant "par petits
groupes" ; notons au passage la place de raros, antéposé,
ce qui est la place de l'adjectif qualificatif plutôt que
discriminatif : raros indiquerait donc plutôt comment
se déplacent les soldats (de l'assaut) qu'il ne distinguerait
des soldats par rapport à d'autres, et dont l'adjectif
raros (discriminatif ?) serait seul précisé
par une relative explicative à valeur finale.
Je ne pense donc pas, et je passe à la logique, que raros
milites et suorum désignent des éléments
différents, dont le premier serait destiné à
ajouter une feinte supplémentaire (la feinte s'explique
mal, puisqu'elle tendrait à ramener les Gaulois plus près
du lieu de l'attaque réelle ; s'agirait-il alors de montrer
des soldats vaquant à des occupations de routine ? Peu
vraisemblable) à celles qui ont déjà abusé
les Gaulois, et le second les réelles troupes d'assaut.
Dion Cassius a précisé - et il ne faut pas négliger
cette indication - que César s'était emparé
d'une partie du dispositif gaulois pour posséder une base
d'attaque plus facile contre la place elle-même (cf. supra,
II). Les fortifications que César y a édifiées,
et dont il parle ainsi que Dion (cf. supra, II), font de la position
un bastion avancé dont l'utilité resterait très
secondaire si la véritable attaque n'en partait pas, compte
tenu de l'opportunité de la situation. César dissimule
donc ses hommes de toutes les manières possibles, par
camouflage puis en réglant leur déplacement dans
ou le long des boyaux de jonction dont la profondeur devait être
suffisante pour cacher un homme, mais non les aigrettes des casques
ni les enseignes. Remarquons de plus que la place respective
du grand camp, du petit camp et de l'oppidum implique que les
boyaux sont en grande partie dissimulés aux yeux des guetteurs
gaulois. Remarquons enfin que la seconde proposition principale
dont le verbe est ostendit, coordonnée à la première
dont le verbe est traducit implique très naturellement
que les instructions de César s'adressent aux chefs des
raros milites dont il vient de parier et qui, une fois
le rassemblement fait au petit camp, lanceront l'assaut : ces
chefs (legatis) sont chacun à la tête d'une
légion et il est possible que trois légions transitent
du grand au petit camp : on peut sans doute leur ajouter quelques
cohortes car le petit camp serait déjà tenu par
une partie de la XIIIe légion à titre de garnison
(cf. infra). Il y a donc trois légats qui recevraient
les ordres de César, après le transfert : ceux
des VIIIe, IXe (?) et Xe (?) légions. Il faut mettre à
part la légion de diversion dont on ne sait pas le n°
: peut-être la XIe, peut-être la Ière, et
sans doute une légion laissée à la garde
du grand camp : la Ière ? La XIIIe, on l'a vu, ne peut
être lancée entière à l'assaut, puisqu'elle
reste, en partie au moins, dans le petit camp. Dans cette hypothèse,
une dizaine de milliers d'hommes sont concernés par le
transit au plus, mais peut-être (bien) moins, d'après
le calcul suivant : deux légions seraient déjà
au petit camp (cf. II : duas ibi legiones conlocauit) (la VIIIe
et la IXe ?), une est préposée à la garde
du grand camp (la IXe ou la Ière ?). Une est en diversion
(la XIe ou la Ière ?). Resteraient deux légions
qui doivent opérer le transit la Xe et la Xille, mais
on a remarqué que César utilise une stratégie
par relais depuis 54 : Seule la Xe légion, suivie à
distance par la XIIIe passerait du grand au petit camp, soit
3 000 à 4 000 h. en un premier temps, puis le même
nombre (= 6 000 à 8 000 h, 10 000 au plus). Cela permettrait
de comprendre, mieux qu'en imaginant un transfert de 12 000 à
15 000 hommes, que l'opération ait pu être dissimulée
aux yeux des observateurs gaulois et ait été aussi
rapide. César ne dit pas, de plus, quand a eu lieu le
transfert. Mais c'est ici le lieu de mentionner Polyen, qui parle
d'une manuvre nocturne, menée par César sur
la gauche du front : il choisit les plus endurants de ses hommes
et les dissimule pour mieux surprendre l'adversaire au début
de la matinée ; Polyen parle ensuite d'une manuvre
de diversion menée sur la droite (Polyen : Kaisar
twn autou stratiwntwn touV malista jiloponouV kai karterikouV
nuktwr egkatekruye taiV ulaiV, keleusaV ecein akontia bracea
kai xijidia summetra ..... oi men dh arcomenhV ew dia thV ulhV
erponteV epi ton lojon kata to laion anhesan, o de Kaisar kata
to dexion proshge thn stratian perispwn eiV auton (autouV) touV
barbarouV ). La manuvre nocturne paraît bien
correspondre au transfert des troupes d'assaut et à la
préparation de l'attaque, il y a là difficulté
temporelle ; quant à la diversion, ce serait soit l'envoi
des Héduens dont César fait mention au moment du
début de l'assaut et dont il signale l'attaque par la
droite (César : signum dat et ab dextera parte alio
ascensu eodem tempore Haeduos mittit), soit plutôt
le rappel de la diversion par les collines due aux muletiers-cavaliers
et surtout à la légion isolée du côté
du iugum. Mais on peut aussi
penser que Polyen parle de l'ensemble de la manuvre de
diversion menée à droite du dispositif (6).
Selon une leçon de Polyen, César accompagnera-t-il
la diversion ? Non : cf. d'ailleurs autre leçon : autouV .
Les conseils - ou plutôt les ordres - donnés par
César à ses légats ne sont pas à
négliger - nécessité de ne pas se laisser
emporter par l'ardeur de combattre au-delà de certaines
limites ; - on ne peut songer à la mise à sac de
l'oppidum ; - le désavantage de la position des attaquants
est manifeste et il faut y remédier par la rapidité
; - il s'agit d'un coup de main par surprise et non d'une véritable
attaque avec conquête (César : in primis monet
ut contineant milites, ne studio pugnandi aut spe praedae longius
progrediantur ; quid iniquitas loci habeat incommodi proponit
: hoc una celeritate posse uitari; occasionis esse rem, non proelii).
César se rend (donc) parfaitement compte de la nécessité
d'exploiter rapidement une situation très temporaire :
il ne peut donc songer à prolonger le combat. Il présente
l'opération comme une opération de commando : frapper
efficacement, puis se replier sans dommage. Cela implique que
cette opération soit confiée à des soldats
d'élite et, me semble-t-il, assez peu nombreux : deux
légions tout au plus pour le coup de main, une en soutien
: VIIIe et IXe, soutenues par la Xe. Je croirais volontiers que
la VIIIe légion est celle qui a déjà pris
le petit camp et est spécialisée dans ce genre
d'attaque surprise. La IXe est également une excellente
unité (cf. VIII, 8, 2).
b) Assaut :
- partie positive : ch. XLV-XLVI.
Au moment même où il donne aux légions (Suétone,
Div. Iul., 25, parle d'une légion (legione fusa)
mise en déroute) d'assaut (VIIIe et IXe ?) l'ordre d'attaque
(César : signum dat), César envoie les Héduens
sur la droite du dispositif par un autre accès (César
: ab dextra parte alio ascensu eodem tempore Haeduos mittit).
L'indication donnée par César concernant la distance
entre la zone plate et le mur de l'oppidum ne paraît pas
approximative : Comme l'ont remarqué
les spécialistes, César dispose de gromatici qui
font des évaluations précises : 1 200 pieds = 1
780 m (7) . Cela est visiblement une
distance de référence. Vient s'intercaler sur la
pente, à mi?hauteur d'une colline, un mur de six pieds,
in longitudinem, ut nature montis ferebat. Mme Demerson a précisé
comment il fallait entendre cette indication topographique :
nécessité de distinguer collis et mons, la colline
en question faisant partie du mons, comme l'indique visiblement
la suite du texte, puisqu'il y a lieu de distinguer entre la
partie inférieure et la partie supérieure de cette
colline, qui va jusqu'au mur de l'oppidum et qui est occupée
par des campements très denses (César : atque
infériore omni spatio uacuo relicto superiorem partem
collis usque ad murum oppidi densissimis castris compleuerant).
La rapidité avec laquelle les troupes d'assaut parviennent
au mur de six pieds et le franchissent suppose une ascension
assez brève : signal de l'attaque, franchissement du mur,
arrivée à la partie supérieure de la colline,
prise de trois camps (César : milites dato signo celeriter
ad munitionem perueniunt eamque transgressi trinis castris potiuntur).
Cette rapidité est encore soulignée par le fait
que les Romains surprennent Teutomatos en pleine sieste : celui-ci
leur échappe de peu (César : ac tanta fuit in
castris capiendis celeritas ut Teutomatus, rex Nitiobrogum, subito
in tabernaculo oppressus, ut meridie conquieuerat, superiore
corporis parte nudata, uulnerato equo uix se ex manibus praedantium
militum eriperet).
Cet épisode montre d'abord que la partie du dispositif
gaulois qui était en face des attaquants n'était
pas aussi dégarnie que César le croyait ; il laisse
entendre ensuite que le fuyard et ses hommes vont donner l'alerte.
L'indication temporelle (meridie) est également
à retenir : on serait au milieu
du jour, ce qui peut correspondre à ce que dit Polyen,
qui parle du lever du jour pour l'attaque (cf. supra III,
a), p. 26) (8) .
- ordre non exécuté : ch. XLVII.
César ordonne alors la retraite, l'objectif étant
atteint selon lui (César : consecutus id quod animo
proposuerat Caesar receptui cani iussit). Il se trouve avec
la Xe légion tout près de la sortie du petit camp,
il s'ébranle alors pour aller en appui des légions
déjà engagées : il doit voir la fuite de
Teutomatos et des siens. La surprise ne peut plus jouer, d'où
l'ordre d'interrompre la progression (César : legionique
décimae, quacum erat, contionatu signa constituit)
adressé directement à cette légion. Quant
aux autres légions, elles n'entendent pas le son de la
trompette qui sonnait la retraite à cause de la nature
du terrain : en effet César fait état d'une (ou
de deux) vallée(s) qui empêchent le son de porter
jusqu'aux légions déjà engagées (César
: non exaudito sono tubae, quod satis magna ualles intercedebat
(a) ou quod satis magnae ualles
intercedebant (b) ) : que l'on
penche pour une ou deux vallées, il faut considérer
que l'espace en question est composé d'une dépression
séparant César et la Xe légion de la colline
déjà franchie par la vague d'assaut et au-delà
de laquelle se trouve cette vague, dans un repli de terrain qui
pourrait alors être désigné par le même
terme de ualles que la première dépression. L'assaut
continue donc, malgré les ordres de modération
donnés par les officiers selon le briefing initial de
César (César : tamen ab tribunis militum legatisque,
ut erat a Caesare praeceptum, retinebantur). Comment comprendre
cette attitude des officiers, telle du moins que César
la rapporte, si l'on n'imagine pas une action limitée
dans ses buts ? Il semble en tout cas que les officiers comprennent,
comme César, que l'effet de surprise ne peut plus jouer
et qu'il est nécessaire de songer au repli. César
prétend avoir atteint son but, mais avait-il un but précis
? L'état d'esprit des troupes est tout autre, engagées
qu'elles sont dans l'action (cf. XLVII, 3), et elles arrivent
tout près de l'enceinte de l'oppidum dans leur poursuite
des fuyards qui occupaient les trois camps mentionnés
en XLVI, 4 (César : neque finem prius sequendi fecerunt
quam muro oppidi portisque adpropinquarunt). Cette approche
provoque un effet de panique chez les occupants non combattants
de l'oppidum et en particulier chez les femmes certains se précipitent
hors des murs, des femmes se livrent aux soldats romains (César
: qui longius aberant ... sese ex oppido eiecerunt ... non
nullae de muro per manus demissae sese militibus tradebant),
cela au milieu de clameurs et de supplications. Se situe alors
l'épisode de L. Fabius, centurion de la VIIIe légion,
qui, aidé de trois de ses soldats, monte sur le rempart,
où il les hisse à leur tour (César : L.
Fabius, centurio legionis VIII ... tres suos nactus manipulares
atque ab iis subleuatus murum ascendit ; hos ipse rursus singulos
exceptans in murum extulit). On peut dire que cet exploit
isolé marque l'avance extrême des Romains : c'est
une aristie gratuite destinée à mettre en valeur
la bravoure romaine : Polyen a peut-être tiré de
cet épisode l'idée que les Romains se sont emparés
de la hauteur (Polyen : ekrathsan tou lojou
) : ils parviennent du moins au sommet.
- retour des Gaulois et corps à corps.
Le chap. XLVIII décrit le retour en force des Gaulois
qui étaient partis fortifier le secteur opposé
(César : interim fi qui ad alteram partem oppidi, munitionis
causa conuenerant ... praemissis equitibus magno concursu (a) (ou cursu (b))
eo contenderunt). Ce retour des Gaulois à cheval
d'abord puis à pied se fait en dehors des murs de l'oppidum
(César : Eorum ut quisque primus uenerat, sub muro
consistebat). C'est là, dans un espace resserré
qu'a lieu un combat acharné où les Romains ont
le dessous, mais ne sont pas encore écrasés (César
: Erat Romanis nec loco nec numero aequa contentio ; simul
et cursu et spatio pugnae defatigati non facile recentes atque
integros sustinebant).
- précautions tactiques de César : ch. XLIX.
César voit les légions d'assaut en difficulté.
Il faut donc qu'il soit en un lieu assez élevé,
sans doute à quelques dizaines de mètres du petit
camp, en avant de celui-ci. Il amorce avec la Xe légion
un mouvement de progression limité pour être en
mesure de soutenir les légions d'assaut si besoin est
(César : Caesar cum iniquo loco pugnari hostiumque
augeri copias uideret ... Ipse paulum ex eo loco cum legione
progressus ubi constiterat euentum pugnae expectabat). Mais
il a simultanément envoyé l'ordre à son
légat Sextius, préposé à la garde
du petit camp avec la XIIIe légion (incomplète
?), d'opérer une sortie sur la droite gauloise donc sur
la gauche du front romain, donc du petit camp, pour empêcher
un éventuel débordement gaulois. Cela suppose la
possibilité de prévenir Sextius très rapidement
: la distance entre César et lui ne doit pas excéder
quelques centaines de mètres (César : praemetuens
suis ad T. Sextium legatum, quem minoribus castris praesidio
reliquerat, misit ut cohortes ex castris celeriter educeret et
sub infimo colle ab dextro latere hostium constitueret ut, si
nostros loco depulsos uidisset, quo minus libere hostes insequerentur
terreret). Reliquerat suppose que César a quitté
le petit camp avec la Xe légion : il y a laissé
Sextius. L'idée de rapidité domine (cf. celeriter).
Sub infimo colle ne peut désigner que la colline
du petit camp au pied de laquelle Sextius doit prendre position
face à l'aile droite gauloise. Sextius laisse-t-il des
troupes au petit camp ? Peut-être... 4 cohortes ? 6 sortiraient
alors... Mais on pense plutôt à un départ
de toutes les troupes de Sextius.
V. ISSUE DU COMBAT. DEFAITE DES ROMAINS
1. RESISTANCE ULTIME - Ch. L.
Les Romains ne sont pas écrasés et luttent avec
acharnement sous les murs de l'oppidum (César : cum
acerrime comminus pugnaretur). L'apparition des Héduens
sur la droite des Romains, mais assez loin, jette alors la panique
parmi ceux-ci, malgré le signe distinctif qui permet de
reconnaître les Héduens et qui est pris pour une
ruse. (César : subito sunt Haedui uisi ab latere nostris
aperto ... Hi similitudine armorum uehementer nostros perterruerunt
... ). On sait que les Héduens (ce que César répète
d'ailleurs ici) avaient été envoyés du côté
droit de la ligne d'attaque romaine (cf. XLV, 10) et il précise
que c'était une diversion (César : manus distinendae
causa). Il faut croire qu'ils arrivent au sommet de la montée
et sont vus des Romains : déjà aux prises avec
les troupes gauloises. Il ne sera plus question des Héduens
: il est très vraisemblable qu'ils sont passés
du côté des Gaulois de l'oppidum. Le récit
de la fin glorieuse de deux centurions de la VIIIe légion,
Fabius dont il a été question au chap. XLVII, 7,
et Petronius, tués, l'un sur la muraille avec ses trois
compagnons, l'autre en essayant d'enfoncer une porte de l'oppidum,
occupe toute la fin du chap. L (L, 3-6). L'utilisation du discours
direct (paroles de Petronius à ses camarades de combat)
permet de masquer quelque peu, dans le récit de César,
sa cruelle déconvenue.
2. LA FUITE DES ROMAINS DES LEGIONS D'ASSAUT ET LEUR PROTECTION
- Ch. LI.
César reconnaît cependant les pertes sévères
subies par les légions d'assaut, rejetées de la
zone contiguë aux remparts (César : Nostri, cum
undique premerentur, quadraginta sex centurionibus amissis deiecti
sunt loco). Les fuyards sont protégés par la
Xe légion qui a fait mouvement vers le lieu de l'engagement
: ce mouvement ne peut qu'avoir été un mouvement
descendant, depuis le lieu d'observation d'où César
a pu voir la tournure que prenaient les événements,
jusqu'à un espace plus plat où la troupe a fait
halte (César : Sed intolerantius Gallos insequentes
legio decima tardauit, quae pro subsidio paulo aequiore loco
constiterat). La Xe légion joue donc le rôle
de premier frein à la poursuite gauloise, mais elle doit
être amenée à reculer avec les fuyards romains
devant l'impétuosité des poursuivants. La XIIIe
légion de Sextius, qui, on l'a vu, était sortie
du petit camp par la gauche et était descendue vers le
bas de la colline dont elle occupait précédemment
le sommet, s'arrête ou opère un mouvement ascendant
sur le flanc de cette même colline et elle joue le rôle
de second frein à la débandade romaine et à
la poursuite gauloise en venant à l'aide de la Xe légion
(César : Hanc rursus XIII.
legionis cohortes exceperunt, quae ex castris minoribus eductae
cum T. Sextio legato ceperant locum superiorem)
(9) . Cela permet un regroupement général face
à l'ennemi, une fois la plaine atteinte, sans doute à
la gauche de la colline du petit camp (César : Legiones,
ubiprimum planitiem attigerunt, infestis contra hostes signis
constiterunt). C'est de là en effet que Vercingétorix
va faire replier ses troupes sur l'oppidum (César : Vercingetorix
ab radicibus collis suos intra munitiones reduxit). César
constate finalement ses pertes : 700 hommes (LI, 4).
3. ESCARMOUCHES FINALES; DEPART DES ROMAINS
César harangue ses soldats à la suite de ce revers,
en leur reprochant de ne pas avoir obéi à ses ordres
de modération (LII entier). Il va ensuite, avant le départ
de Gergovie - départ auquel il pensait déjà
bien plus tôt (cf. supra, IV, 1 : fin du chap. XLIII)
- essayer de provoquer l'ennemi en bataille rangée sur
terrain plat (César : legiones ex castris eduxit aciemque
idoneo loco constituit). Mais Vercingétorix ne se
laisse pas prendre au piège et ne descend pas de l'oppidum.
Seules ont lieu quelques escarmouches de cavalerie où
les Romains auraient eu le dessus (César : Cum Vercingetorix
nihilo magis (MSS : minus) in aequum locum descenderet,
leui facto equestri proelio atque eo secundo, in castra exercitum
reduxit).
Cela paraît suffisant à César pour impressionner
les Gaulois et redonner du courage à ses troupes et il
quitte les lieux (César : satis ad gallicam ostentationem
minuendam militumque animos confirmandos factum existimans in
Haeduos mouit castra).
* *
Nous avons essayé d'exploiter les textes anciens avec
le maximum d'objectivité, sans transposition, sans correction.
Quelle conclusion tirer de cette analyse ? Nous laisserons ici
de côté les intentions de César : nous avons
vu qu'il explique l'échec, tente de le minimiser et en
tout cas dégage sa propre responsabilité en tant
que tacticien. Coup de main manqué par indiscipline ou
échec d'une tentative d'ensemble mai évaluée
par le chef, l'appréciation diffère selon les sources
: Dion Cassius, appuyé par Suétone (Div. Iul.,
XXV), dans son bref compte rendu, ne tient pas les mêmes
propos que César : il parle d'un échec dans une
tentative d'ensemble, échec sanglant face à une
place inexpugnable (Dion : to d olon apekrounto,
kai twn te stratiwntwn sucnouV apebale kai ekeinouV alhptouV
ewra ontaV... ). Comment juger ? Là n'est pas notre
but. Tenons?nous en aux faits. Voici ce qui nous semble indiscutable
:
1°) Après avoir bien vu le site et mené quelques
escarmouches de cavalerie, César, par une opération-surprise
menée par un détachement bien entraîné,
s'empare d'un élément du dispositif gaulois : il
y installe deux légions et pense s'en servir comme base
d'attaque ; les relations sont facilitées entre le camp
principal et celui qu'il édifie sur la position prise,
par un fossé dont la largeur ne peut avoir été
inférieure à 8-10 m, compte tenu de son caractère
double et des dimensions indiquées par César. Ce
fossé, étant donné sa place, est partiellement
dissimulé à l'ennemi, si l'on songe au sens de
e regione. Il sert de lieu de passage protégé
ou de protection efficace.
2°) Survient alors l'intermède héduen, qui
dure à peine plus de 24 h. Le grand camp est violemment
attaqué et lui seul. Il aurait pu être pris sans
la rapidité de César.
3°) Cet intermède héduen aurait pu provoquer
une catastrophe immédiate pour César. Il révèle
en tout cas une situation grave et César n'a certainement
pas l'intention de séjourner longtemps devant Gergovie,
par manque de subsistance il ne le peut pas. Du petit camp, dont
l'aménagement s'est poursuivi depuis son occupation, César
constate une possibilité d'action : exploiter les craintes
gauloises pour un accès de l'oppidum situé à
droite selon Polyen (et Dion ?) par une diversion contournant
l'oppidum. Cette diversion, dit encore Polyen, se fait donc sur
la droite. César ayant constaté un soir qu'une
colline quasi jumelle de celle du petit camp est dégarnie
par l'ennemi, commence de nuit sa diversion qui se poursuit jusque
vers 9 à 10 h du matin (cavaliers, muletiers, légion),
en longeant une chaîne de collines et en la contournant
de façon à accéder à l'arrière
de l'oppidum.
4°) César alors opère un transfert du grand
camp au petit, par le fossé de liaison, des légions
qui s'y trouvent ; mais tenons compte du fait que le petit camp
est déjà pourvu d'une garnison, qu'une garnison
doit rester au grand camp et qu'une légion est en diversion.
Deux légions doivent donc transiter, soit 8 à 10
000 hommes, dissimulés par camouflage et par leur mode
de déplacement. Pour cela 3 h environ sont nécessaires.
L'ordre d'assaut est donné au milieu du jour (rappelons-nous
que nous sommes au printemps et que la chaleur n'est pas alors
excessive).
5°) L'assaut, rapide, est retardé par des Gaulois
dissimulés par un repli de la colline où ils campent.
L'alerte est donnée et le gros des troupes gauloises,
parti à l'opposé du lieu d'attaque pour faire face
à ce qui n'est que la diversion, va revenir. Le repli
est dans ces conditions ordonné par César, sans
succès.
6°) Le corps à corps tourne au désavantage
des Romains, en mauvaise position et de plus effrayés
par les Héduens qui surgissent à droite mais assez
loin. La débandade romaine s'ensuit.
7°) La fuite romaine et la poursuite gauloise ont lieu sur
la gauche du front romain, freinée par la Xe puis la XIIIe
légion, jusqu'à la plaine qui s'étend au
pied de la colline du petit camp. Les renseignements tactiques
donnés par César paraissent appuyer ici l'indication
de Polyen : la zone de gauche pour un observateur romain situé
sur la colline du petit camp est libre, sans éminences
; les collines en iugum par où se fait la diversion
sont donc sur la droite. Le retour des troupes de diversion se
fait sans problème au grand camp.
Cette étude de la tactique de César s'est inspirée
des textes et d'eux seuls. Certes les textes ne disent pas tout,
mais il est raisonnable de les solliciter le moins possible,
en essayant seulement de les comprendre. Notre seule ambition
est d'avoir travaillé en ce sens.
**************
NOTES
1. Cf. ALMA VIII, 1981, p.
37 et suiv.
2. Je ne cite ici aucun nom d'érudit,
afin de "dépassionner" un débat qui n'a
que faire en cette étude. On a remarqué bien souvent
que "Ia chronologie des Commentaires est l'imprécision
même". Certains suggèrent une quinzaine entre
l'arrivée de César et le soulèvement héduen
(N, tab.) : cela suffit pour placer la guerre de positions et
les escarmouches, le ravitaillement et la prise de la colline.
3. César ne précise
pas ici la forme, comme il le fait en VII, LXXII, 1 (cf. aussi
VIII, IX, 3) : derectis lateribus. Si les fossés
sont triangulaires. on peut penser au schéma suivant :
lieu de circulation
4. Cf. éd. S. (1997), P. XXXVII
sq., opinion admise par tous.
5. Cf. De BG, III, 14, 4 ;
VII, 4, 1 (et, p. 104, par. 127 a) ; turribus excitatis, has
altitudo puppium supecabat, BG III, 14, 4.
6. Il paraît tout à fait
illusoire de croire que le texte de Polyen parle de la prise
par surprise du petit camp, solution qui a séduit certains
critiques : la source de Polyen serait alors très différente
de ce que l'on trouve chez César et le texte parle bien
de Gergovie et non de l'emplacement secondaire constitué
par la colline du petit camp.
7. Indications de a
.
Mme Demerson attire mon attention sur une correction possible
du passage : tout en acceptant la lecture mille CC (a)
pour l'évaluation de la distance en ligne droite, il y
a possibilité ensuite de lire le texte sans correction,
en adoptant les leçons de (b)
:
- quicquid circuitu ad molliendum cliuum accesserat, id spatio
itineris augebatur. Mais des questions se posent : circuitu
est-il un datif ou un ablatif ? Si c'est un ablatif, comme nous
avons tendance à le penser, huic renverrait à
ascensus (= 1 200 pas en ligne droite) ; circuitu
se rapporterait alors aux lacets destinés à adoucir
la pente ;
- que désignerait spatio itineris ? Ne peut-on
songer au trajet du grand au petit camp ? Il y aurait donc ici
trois indications : 1) évaluation de la distance recta
regione ; 2) indication d'une augmentation de cette distance
pour rendre l'ascension plus facile ; 3) référence
au cheminement préalable des légions avant l'assaut,
c'est-à-dire passage du grand au petit camp avant la mise
en place pour l'attaque finale.
8. Il est nécessaire de tenter
de reconstituer la succession des événements :
1) nuit et aube : diversions ; 2) constatation de César
: 7-8 h ; 3) transfert : 9?10 h ; 4) attaque : 11-12 h. Le
mot d'ordre est la rapidité. Polyen n'indique que le début
de la manuvre.
9. Superiorem par rapport à
quoi ? : l'emplacement précédent ou par rapport
au lieu qu'elles devaient atteindre ? En tout cas superiorem
n'indique pas une position plus haute que celle de César.
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